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Environnement & Société
3 avril 2017

Société

L’incompris principe de précaution

 

             Proposé au cours des années 1970 par le philosophe allemand Hans Jonas[1], le principe[2] de précaution est évoqué dès 1972 dans la Déclaration finale de la Conférence de Stockholm sur l’environnement humain. Mis en application juridiquement pour la première fois en 1985 dans la Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone il entre dans le droit international dans les années 1990. Il apparaît dans le traité européen de Maastricht  en février 1992 (article 130 R) puis dans la déclaration du sommet de Rio  adoptée la même année (principe 15) « pour protéger l’environnement des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ».

Associé à la protection de l’environnement il apporte, en complément de l’arsenal juridique s’adressant aux risques certains comprenant notamment le principe de prévention ou celui de pollueur-payeur, une ressource juridique concernant les risques incertains. L’incertitude jusqu’alors, s’analysait en une présomption de non-dangerosité, l’environnement étant supposé capable de supporter toutes les actions de l’homme, le principe de précaution inverse maintenant la situation. Le bénéfice du doute profite désormais à l’environnement dont on connaît la fragilité.

     

       La loi Barnier du 2 février 1995 sur le renforcement de la protection de l'environnement, dite aussi "loi paysage", rend applicable le principe de précaution dans le droit français de l'environnement : "l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économiquement acceptable". Cette définition très modérée de la précaution se distingue bien d'interprétations radicales qui préconisent une logique d'inaction selon l'adage "dans le doute abstiens-toi", rien n'étant fait tant que l'on n'a pas fait la preuve de l'innocuité absolue des activités ou des produits. Une chose est certaine, il n’est pas d’actualité de retenir la conception radicale de ce principe qui retiendrait comme objectif le « risque zéro ».

Bien qu’allant au-delà du principe de mitigation, il est souvent confondu avec le principe de prévention alors que la précaution marque la différence entre l’incertitude probabilisable de l’aléa [3] (lequel correspond à la prévention) et l’incertain par manque de connaissance (auquel se rattache la précaution). Dans le premier cas l’incertitude est objective dans le second elle est subjective. Ce principe n'est donc pas, comme certains l'affirment, afin de mieux le condamner d'ailleurs, un prétexte vertueux à la paralysie, un moyen commode de bloquer des initiatives en imposant des moratoires ; il oblige au contraire la recherche à progresser même si celle-ci peut accroître l’incertitude !… et surtout à accepter certaines contraintes de prudence, concept qui englobe à la fois la prévention et la précaution.

       Il a été intégré dans notre Constitution depuis 2005 « Lorsque la réalisation d’un dommage bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédure d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage».

 

    Le principe de précaution, l’un des six principes qui structurent le concept de Développement durable[4], bouscule le droit du risque et oblige à redéfinir les contours du droit de la responsabilité. La notion de faute est considérablement élargie, elle entre maintenant dans le cadre d’une morale de l’incertitude.

    L’obligation de son application naît quand l’analyse de l’aléa fait émerger des questions qui n’ont pas de réponse ou quand les seules réponses se font sous la forme d’hypothèses. Il y a, alors, un doute légitime qui impose la mise en place de procédures de recherches, d’expertises, de débats, d’obligations de veille et de suivi. Cela concerne donc des risques potentiels non avérés et la faute n’est pas une faute classique bien qu’elle rappelle « la négligence », mais l’erreur est de s’être abstenu de mettre en place les procédures susceptibles d’anticiper, de déceler la potentialité de risques avant de pouvoir les identifier. En deçà de ce seuil d’incertitude, pour les risques connus, il n’est pas illégitime d’agir en respectant seulement les procédures de prévention. Cette démarche qui demande une construction intellectuelle inhabituelle du risque, montre que le principe de précaution loin de bloquer toute action nouvelle n’est pas contradictoire avec l’innovation comme le dénoncent ses détracteurs, mais oblige à la recherche pour sortir de l’incertitude. Il rend maintenant indissociables dans toute action susceptible de générer un danger, responsabilité, risque et précaution, ce qui constitue une garantie pour le citoyen.

    Bien qu’il « n’ait pas donné lieu à des bouleversements, ni à des applications déraisonnables, ni inspiré des décisions de justice qui auraient changé le cours des choses », ce principe regardé par certains comme un principe d’inhibition ou d’indécision est contesté par de nombreux politiques ; ils souhaiteraient le remplacer par un "principe d'innovation responsable"[5] qui n’aurait pasl’inconvénient fâcheux d’inciter à passer d’une société du risque à une démocratie du risque en suscitant de vrais débats publics pour que chercheurs et citoyens aient le temps d’y voir clair[6].

 



[1] « Principe responsabilité » 1979 - traduit en français en 1990. 

[2] Le principe est un concept, une règle, non démontré mais vérifié par l'expérience. C'est une vérité première, évidente, qui ne peut être prouvée ni combattue par des propositions qui le soient davantage.  

[3] En prévention des risques naturels vis-à-vis de biens, l'aléa est un phénomène naturel d’éventualité et d'intensité connues.

[4] Avec celui de Responsabilité, d’Approche systémique, de Pollueur-payeur, d’Internalisation des coûts externes et de Gouvernance.

[5]  Proposition déposée par E. Woerth ; rejetée par l’Assemblée Nationale le 4/12/2014.

[6] « Les métamorphoses du principe de précaution » A. Sinaï Actu-Environnement 2010.

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